Parfois, on se dit que notre vie est terriblement banale. C'est normal, c'est la nôtre. On la côtoie, on la connaît, on en a l'habitude puisqu'on est la personne qui en sait les moindres instants. Cependant, il y a quelque chose qui rend ma vie particulière pourtant. Élevée par un couple homosexuel, j'ai vu le jour grâce une mère porteuse venue tout droit de Slovaquie. Mes parents avaient pris contact avec elle par le biais d'une agence. Ils avaient pensé à l'adoption mais les arnaques leur faisaient bien trop peur. Vous savez, payer des milliers de dollars pour un bébé qu'on a probablement volé à ses parents biologiques. Non, non, non, ce n'était pas leur genre. Pourquoi une mère porteuse slovaque ? Pour la simple raison que l'un de mes pères était émigré de ce pays et qu'il voulait se reconnecter avec ses racines, d'une certaine manière. De plus, c'était pour me transmettre cette singularité. Ma "mère" se prénommait Grith Marshkow. Je ne l'ai jamais rencontrée mais j'ai tout de même grandi avec une photo d'elle pour me donner une idée. A ce jour, je lui ressemble. J'ai hérité de sa longue crinière brune et de sa beauté particulière. Ce que je regrette, c'est de ne pas avoir eu ses magnifiques yeux verts, presque hypnotisants. Et non, j'ai les yeux de mon père donneur. Comme vous devez vous en douter, mon enfance ne fût pas toujours des plus heureuses. Mes pères furent extraordinaires. Déterminés et heureux de ma naissance, ils se sont toujours battus pour m'apporter ce dont j'avais besoin. Je devais avoir à peine plus d'un an lorsque j'eus une pneumonie. Ils passèrent chaque nuit avec moi à l'hôpital. Ils avaient eu tellement de mal à m'avoir qu'ils refusaient l'idée de me laisser seule dans un endroit aussi sinistre. Ils furent les parents dont on peut rêver. Cependant, au collège, les moqueries ont commencé à tomber et à pleuvoir de partout. Non mais tu te rends compte, elle a été élevée par deux hommes. Je t'interdis de traîner avec cette gamine, t'as compris ? Les parents nourrissaient la haine de leurs enfants pour moi. Ils ne comprenaient pas. Ils s'imaginaient qu'avec des parents homosexuels, j'allais finir dans ce chemin-là également. Alors, c'était surtout les filles qui se montraient distantes et blessantes par leurs paroles. C'est à cette époque que je me suis promise de réussir seule et de ne pas me laisser intimidée. J'ai filé droit, j'ai bossé autant que j'ai pu et j'ai toujours été une élève brillante. A l'époque, je rêvais de chirurgie mais mes rêves se sont arrêtés au poste d'infirmière. En grandissant, je n'eus pas le courage de poursuivre mes études éternellement. J'avais besoin de prendre mon envol tout en ayant un contact indispensable avec le monde médical...

Une fois mon diplôme d'infirmière obtenu, j'ai vogué ça et là pour venir en aide aux personnes qui en avaient le plus besoin. L'Argentine, la Bolivie, le Kenya, le Libéria, le Laos, le Cambodge, l'Inde. J'ai pu fouler le sol de tous ces pays dans le cadre d'expéditions organisées par Médecins Sans Frontières. En effet, lors de ces actions, c'est de tout le corps médical dont les gens ont besoin. C'était inévitable pour moi, je vivais pour ça. C'était comme si ça avait été écrit. Mes pères s’inquiétèrent beaucoup durant mes déplacements puisque je ne pouvais leur donner des nouvelles que très rarement. Parfois, égoïstement, je ne me précipitais pas afin de les rassurer car je jugeais que les gens, ici, avaient bien plus besoin de moi. Je n'ai jamais été du genre à avoir besoin de reconnaissance pour me sentir exister mais il est vrai que j'aimais être utile. Ce fut lors de mon séjour au Laos que j'ai rencontré celui qui fût mon premier amour. Il s'agissait d'un français, Nolan Beauchamps. Grand, élancé, un regard bouleversant... Je n'ai pas mis longtemps à tomber sous son charme, même s'il n'avait pourtant rien fait pour cela. Il était médecin, il était aussi dévoué à la tâche que moi-même. Il me rendit heureuse. Cela me faisait du bien d'avoir quelqu'un à qui me raccrocher. Il m'apportait cette stabilité dont j'avais manquée durant tous mes voyages. Puis, nos chemins se sont séparés. Il est parti pour Haïti alors qu'il était temps pour moi de retourner à la maison... Ou pas. Après un bref séjour chez mes pères, je me suis installée à Lighfield. Petite bourgade accueillante qui me changeait de Nashville et de ses bars à coins de rue. J'aimais cette découverte. C'était un réel havre de paix pour moi. Il n'y avait pas un jour sans que je pense à Nolan. Cela faisait un an et demi que je ne l'avais pas vu et un an que j'avais emménagé ici. Il était fort possible que nous ne nous recroiserions jamais. Cependant, j'avais toujours cette lueur d'espoir que mon cœur alimentait à chaque instant. Malgré notre idylle, je ne sais s'il m'a vraiment aimée ou s'il ne s'agissait que d'un divertissement pour lui.