« Maman ? » Ses pas résonnaient dans le salon vide de vie. Chaque soir, quand Mia rentrait de l’université, elle avait peur de ce qu’elle allait découvrir chez elle. Chaque soir, c’était des cris, des disputes entre ses parents qui n’en finissaient plus. Devant elle, puisqu’elle était âgée de dix-neuf ans, ils ne cachaient même plus la haine qu’ils avaient l’un envers l’autre. Et peut-être qu’ils croyaient que son petite frère de deux ans, Théo, n’entendait pas les cris, étaient trop idiots pour comprendre que plus rien n’allait dans sa famille. Mia, elle, savait que le petit était bien plus perturbé qu’il n’en avait l’air et essayait, par conséquent, de passer de plus de temps possible avec lui, en essayant de lui donner tout l’amour qu’elle pouvait. Mais ce soir-là, le salon était vide, la maison silencieuse. Plus aucun cris, plus aucune larme ; juste une atmosphère lourde et pesante qui semblait flotter dans l’air. « Mimi ! » La petite bouille brune de son frère apparut sur le pas de la porte de la cuisine, courant vers elle et s’agrippant à ses jambes. « Elle est où Maman ? » Elle aurait pu tout autant demander où était son père mais, depuis quelques mois, elle ne lui adressait plus la parole. C’était de sa faute si plus rien n’allait entre lui et sa mère. De sa faute si, pendant un an, il lui avait laissé croire qu’ils allaient redevenir un couple heureux et soudés et qu’il avait changé son habit de connard pour celui du papa parfait. La réalité c’est qu’il l’avait toujours trompé, que, peut-être, il ne l’avait jamais aimé comme il aurait dû l’aimer. Theo pointa du doigt le jardin. Mia aussi les sourcils en s’y dirigeant. Qu’est ce qu’elle pouvait bien foutre là-bas alors que le temps était loin d’être agréable ? Et son père, où était-il ? Ils étaient d’habitude rentrés depuis bien longtemps à son retour. « Il est parti Mia, parti … » Elle avait le regard vide, fuyant, une clope au bec ; chose que Mia ne l’avait jamais vu faire. « Tu fumes maintenant ? » Elle regarda sa mère de haut en bas. Que pouvait-elle dire de plus ? Le départ de son père était tellement prévisible. Sa mère s’en étonnait-elle vraiment ? En absence de réponse, Mia retira la cigarette des doigts de sa mère. Et puis, sans savoir vraiment pourquoi, elle la porta à sa bouche et fuma une taff pour la première fois.


« Ma chérie .. Ma Mia Chérie. » Elle se retourna vivement, surprise de la voix qu’elle venait de reconnaitre dans son dos. Celle de son père. Elle ne l’avait pas vu depuis des mois. Après son départ il ne donna plus aucune nouvelles à sa mère et ne rendit même plus visite à ses enfants, sans doute n’avait – il pas envie de croiser son ex – femme et d’assumer de les avoir laissé seuls dans une situation précaire. Ou peut-être ne voulait – il pas voir comment ils vivaient aujourd’hui. Finalement, il avait sans doute raison, leur vie n’était pas des plus intéressantes à vivre ou à raconter. Une mère dépressive, une fille qui faisait tout pour gagner de l’argent et s’occuper de son petit frère. « Mia. Juste Mia. Garde tes mots doux pour les p*tes que tu te tapes, elles y croiront plus que moi. » Elle lui lança un regard aussi froid que le ton qu’elle venait d’employer. On pouvait connaitre la Mia souriante et gentille, qui rigolait sans cesse, faisait la fête et puis il y avait celle-ci, rancunière et impulsive, qui ne supportait pas qu’on fasse du mal aux gens qu’elle aime. Et actuellement, ce père qu’elle avait pourtant aimé faisait du mal à son petit frère et à sa mère. Et ces deux personnes étaient pour elle les deux qu’elle aimait le plus dans ce monde. « Ca fait des mois qu’on ne s’est pas vu, je pensais que tu serais un peu plus heureuse ..  » Elle haussa les sourcils, presque amusé de ce qu’il venait de dire. Heureuse ? C’est ça qu’il venait de dire ? Lui qui ne savait sans doute même pas ce qu’était le bonheur, ou lui qui le trouvait dans les bras d’une femme différente chaque soir au lieu d’avoir une femme, des enfants et de les aimer, comme tout le monde ! Elle le détestait tellement aujourd’hui, c’en était presque une répulsion ; une répulsion à l’égard de son propre père. «  De quel droit tu me parles de bonheur, toi qui a brisé le peu de joie que maman avait en la laissant seule ? Et Theo, t’en fait quoi de ton fils de quatre ans ? Et moi j’en fais quoi de ses questions, quand il me demande où est son père ? Je lui réponds quoi hein ?! » Les clients du bar, autour d’eux, commençaient à les regarder au fur et à mesure qu’elle levait le ton. Elle ferma les poings et serra ses doigts contre ses paumes pour essayer de se calmer, elle se savait colérique mais elle savait aussi que ça ne servait à rien de faire une scène. « Juste, laisse nous tranquille, moi et ma famille. Et non, me reprend pas, ne me dit pas que c’est la tienne aussi, tu n’en fais plus parti depuis que t’as décidé de partir. Maintenant, la prochaine fois que tu me vois, fais-moi le plaisir de passer ton chemin, merci. » Le regardant de haut en bas elle tourna les talons et quitta le bar sans même prendre la peine de prendre sa commande.  

« J’veux bien un p’tit show privé moi. » Il lui glissa une liasse de billet dans l’une de ses poches, sortant de nulle part. Mia en resta froide. C’était de toute façon comme ça tous les soirs. Il fallait bien qu’après sa danse, un homme veuille d’elle pour lui seul. Elle détestait ce qu’elle faisait. Ce qu’elle était obligée de faire pour que sa famille puisse vivre. Sa mère avait quitté son travail et restait cloitrée chez eux durant des journées entières pendant que son petit frère entrait en deuxième année de maternelle. Mia savait que tous deux avaient besoin d’elle plus que quiconque dans ce monde. Finalement, elle prenait sur ses épaules des choses qu’elle n’aurait pas dû avoir à prendre à son âge. Elle qui rêvait de travailler dans le milieu de la médecine comme pédiatre ou puéricultrice elle se retrouvait strip-teaseuse dans une boite de nuit. « Tu me fais quoi si je te donne quelques billets en plus .. ? » Elle dansait devant lui dans la salle sombre spécialisée par les danses plus privatives. Il l’attrapa par la taille et la posa sur ses genoux, avec une force qu’elle ne pouvait pas repousser. « Tu fais quoi là ? J’suis payée pour danser, pas pour coucher, tu saisis la nuance ? » Il la coucha sur le canapé et ouvrit la fermeture du pantalon qu’elle n’avait pas encore enlevé. Elle se débattit sans ne pouvoir rien faire. Son odeur lui dégoutait, sa voix la rebutait, son regard la rendait fébrile. Il devait avoir une trentaine d’année et ne devait pas avoir touché une femme depuis des années vu comme il semblait la désirer. « Lâche moi ! » Elle le répéta plusieurs fois, finit par le crier alors qu’il passa sa main sous son pantalon. « Allez fais pas ta timide .. Je suis sur que t’en crèves d’envie .. » Sa bouche s’écrasa contre la sienne, l’empêchant de respirer tant elle était oppressante. Quand elle sentit sa main approcher de son intimité elle releva le genou d’un coup sec, le tapant directement dans l’entrejambe. Plié en deux, lui criant toutes les insultes qu’il pouvait trouver, elle en profita pour fuir et prévenir son patron qu’elle partait directement, et qu’elle ne prendrait plus personne ce soir. Elle aurait aimé pouvoir lui dire que plus jamais elle ne reviendrait, qu’elle en avait assez d’être traité comme une femme qu’elle n’était pas mais elle savait aussi qu’elle avait besoin de ce salaire qu’elle touchait chaque mois et surtout de tous ces pourboires qu’on pouvait lui donner ; aucun autre boulot ne la paierai assez bien pour s’occuper de sa famille.